Déroulé du projet
Afin d’éviter de reproduire le format des entretiens administratifs auxquels les personnes exilées sont régulièrement confrontées, la méthode d’enquête a été pensée selon une approche collective et participative par la cartographie participative. Elle a permis d’explorer la dimension spatiale du sujet d’étude ainsi que la multiplicité de lieux pouvant participer à l’accueil sur le territoire grenoblois. Dans une démarche de recherche-action visant à trouver des leviers de transformation utiles socialement, nous avons choisi de produire une carte qui permettrait d’aider les personnes exilées arrivant sur le territoire grenoblois à repérer les lieux qui répondent à leurs différents besoins. Les participant
es sont positionné es en tant qu’expert es du sujet, ce qui facilite le partage d’expériences, dans la mesure où il s’opère de manière indirecte, sans mobiliser la sphère de l’intime.Le projet s’est déroulé sous la forme de trois ateliers organisés en mai et juin 2025 dans un lieu fréquenté par des personnes exilées, où leur participation est déjà favorisée (et encouragée) : l’association Cuisine sans frontières. Les deux premiers ateliers ont été coanimés avec Fanny D’Halescourt, chargée de projet « hospitalité et interculturel » de la Ville de Grenoble, laquelle s’intéressait aux récits d’expériences de celles et ceux qui vivent directement ces situations. Mais cette initiative restait un projet universitaire qui ne relevait pas de la politique municipale.
Le premier atelier a réuni cinq participant
es aux parcours personnels divers qui ont partagé leurs propositions de lieux à inclure sur la carte en expliquant leurs différentes fonctions. En tant qu’animatrices, nous avons écrit l’ensemble des idées sur une feuille (Figure 1), alors que les participant es écrivaient les leurs sur leur propre feuille (Figure 2).


Deux participant
es du premier atelier ont également suivi le deuxième atelier consacré à la création d’une légende permettant de comprendre, à l’aide de symboles, ce que l’on peut trouver dans chacun des lieux de la carte (Figure 3).Il suffisait ensuite d’attribuer les symboles imaginés à l’ensemble des lieux évoqués au premier atelier et restitués par des mots sur la première carte (Figure 4). Nous avons pu alors discuter la mise en forme de la carte finale, et nous avons décidé que les lieux seraient mentionnés sur la carte en fonction des arrêts de tramway, repères familiers dans la ville.

Au cours du dernier atelier, nous avons présenté la carte mise en page selon les décisions prises en commun avec deux participant
es. Nous l’avons alors finalisée en lui attribuant un titre :– « Je suis ton guide »
... Et en y ajoutant quelques détails (Figure 5). Encore fallait-il décider de ce que nous allions faire de cette « esquisse finalisée », et très rapidement est venue l’idée de la numériser pour pouvoir la distribuer dans une version plus petite.

La gare et les arrêts de transports en commun : des repères sur le territoire
Nous avons créé cette carte autour des arrêts de transports en commun, points par lesquels les participant
es vivent et explorent la ville, et qui leur permettent d’accéder à l’ensemble des endroits identifiés.Nous avons décidé de dessiner sur la gare un point « vous êtes ici », car il semble que ce soit pour les participant
es le premier lieu fréquenté par les personnes arrivant à Grenoble. Nous avons associé ce point à un symbole d’entraide – deux mains entrelacées – pour suggérer aux arrivant es que la première chose à faire lorsqu’ils et elles arrivent à la gare est de demander de l’aide aux personnes autour. Un e des participant es a expliqué y aller occasionnellement pour guider celles et ceux qui viennent d’arriver en leur donnant des conseils sur les lieux où se rendre. Ainsi, la gare, point central de l’écosystème local d’accueil, est sans aucun doute un lieu stratégique pour la diffusion de la carte.L’accessibilité des lieux d’accueil
Initialement conçue pour orienter les nouvel
les arrivant es vers des lieux ressources, cette carte se lit aussi comme une cartographie de l’écosystème local de l’accueil, réalisée par des personnes exilées, où les lieux qui y sont mentionnés sont ceux qui ont contribué à l’accueil des participant es quand ils et elles sont arrivé es à Grenoble.La représentation de cet « écosystème » grenoblois montre que les organismes d’accueil qui n’ont qu’un seul lieu d’implantation sont relativement concentrés au centre-ville. Étant bien desservis par les transports en commun depuis l’ensemble des quartiers de la ville, l’accès à ces services peut s’effectuer simplement. Les organismes qui ont plusieurs lieux d’implantation, comme les Maisons des habitant
es, les Restos du cœur et la Caravane des droits, sont souvent plus éloignés du centre-ville, ce qui permet de maintenir une proximité avec les habitant es.La place centrale des associations
Cette carte recense 48 inscriptions correspondant à 34 lieux distincts, certains lieux ayant plusieurs implantations. Parmi ceux-ci, cinq appartiennent à la municipalité – les Maisons des habitantMDH), une bibliothèque municipale, la Caravane des droits, les douches municipales et le Centre Communal d’Action Sociale (CCAS) – alors que deux seulement sont des administrations étatiques : la Préfecture et l’Office Français de l’Immigration et de l’Intégration (OFII). La carte met en lumière une prédominance du secteur associatif qui compose l’essentiel de l’écosystème local de l’accueil tel que représenté par les participant es.
es (Mais les lieux associatifs ont été proposés au même titre que les lieux municipaux, sans distinction ni échelle d’importance, comme des lieux dont les nouveaux et nouvelles arrivant
es pourraient avoir besoin. L’approche des participant es est fonctionnelle, elle accorde de l’importance aux ressources concrètes qui peuvent aider les personnes exilées, et non pas à l’éventuel statut institutionnel des structures.À l’inverse, la préfecture, qui n’a que pour unique symbole celui représentant une administration, semble être mentionnée uniquement parce qu’il représente une étape obligatoire pour les démarches de régularisation administrative, et non pas pour l’aide éventuelle qu’on pourrait y trouver.
Créer une légende pour comprendre les besoins

La légende de la carte (Figure 6) a été créée à partir des endroits jugés utiles aux personnes exilées et représente, par conséquent, les différents besoins des personnes exilées auxquelles des organismes du territoire peuvent répondre. Cela ne permet pas de savoir si ça couvre l’ensemble des besoins, mais permet de saisir comment l’accueil dispensé à Grenoble est perçu par les participant
es.Les besoins mentionnés relèvent principalement des conditions matérielles d’accueil : la nourriture, l’hygiène, l’accès à un abri, les objets et vêtements, l’accès à internet, l’accès aux transports, l’aide financière et la bagagerie. Les démarches administratives trouvent aussi une place importante au sein de la légende avec la mention des administrations, là où on peut faire des photos ou trouver de l’information et de l’assistance sociale. Parmi les droits sociaux, seule la santé apparaît distinctement.
L’éducation est évoquée uniquement à travers les cours de français. L’accès à l’emploi n’est pas cité ! Aucune entrée de légende ne se rapporte à l’intégration à la vie sociale, économique, culturelle et politique qui représente pourtant un pan important de l’accueil. La légende accorde davantage d’importance aux besoins primaires en inscrivant l’accueil dans la temporalité de l’urgence.
La réponse aux besoins sur le territoire
La carte donne à voir la typologie des structures participant à la réponse aux besoins des personnes exilées sur le territoire, qu’elles soient associatives ou municipales.
En ce qui concerne les besoins de la vie quotidienne, se nourrir ne fait pas l’objet d’une prise en charge réelle par la municipalité via ses équipements. Bien que la Caravane des droits offre un petit-déjeuner aux usagèrSDF (Vieux Temple), l’Observatoire des Discriminations et des Territoires Interculturels (ODTI) et Cuisine sans frontières qui répondent à ce besoin spécifique.
es, cela reste insuffisant pour répondre de manière adéquate aux besoins alimentaires des personnes en situation de précarité, les petits-déjeuners proposés visant avant tout à créer un cadre accueillant. Ce sont ainsi les associations le Secours Catholique, la Croix Rouge, le Point d’eau, Le Fournil, les Restos du cœur, Accueil duPar ailleurs, à l’exception de la bibliothèque pour les livres, seules des associations sont mentionnées sur la carte pour l’accès à des vêtements et du matériel gratuits ou à faibles coûts : Emmaüs, La Remise, Accueil du SDF (Vieux Temple) et la Croix Rouge. Au regard des besoins en matière d’hygiène, les douches municipales couvrent uniquement le besoin de se laver. Les possibilités de laver son linge sont limitées à deux lieux : Point d’eau et les Restos du cœur, tandis que les coupes de cheveux sont proposées dans ces mêmes lieux et au Local des femmes. Seul le Point d’eau propose un service de bagagerie, un besoin mentionné par les créateur ices de la carte dès le début des ateliers.
Ensuite, le besoin d’accès à l’information et d’orientation vers les structures adaptées est pris en charge par de nombreux lieux associatifs indiqués sur la carte : le Point d’eau, l’Apardap, l’Adate, Le Fournil, l’Accueil Demandeurs d’Asile (ADA), le Secours catholique, La Cimade, l’ODTI et le Collectif de soutien aux réfugiés algériens. À l’inverse, les lieux municipaux sont peu représentés, se limitant à la Caravane des droits et aux MDH. Néanmoins, le CCAS est mentionné, au même titre que ces dernières, comme dispensant un accompagnement social. Il constitue aussi le seul lieu municipal reconnu comme fournissant une aide financière. Les autres équipements municipaux, qui, pour la quasi-totalité, informent et orientent, n’ont pas été identifiés comme tels par les participant es des ateliers.
S’agissant de l’apprentissage de la langue, les Ateliers Socio-Linguistiques des MDH demeurent insuffisants pour répondre aux besoins des habitant es, le nombre de places étant limité. La satisfaction complète de ce besoin s’appuie donc sur l’offre associative de cours de français proposée par La Cimade, la Croix Rouge, le Point d’eau, l’ODTI, l’Apardap, Cuisine sans frontières, le Secours Catholique et le Collectif de soutien aux réfugiés algériens.
Les équipements municipaux ne figurent pas parmi les lieux identifiés pour l’accès aux soins ou à un abri : l’Équipe Mobile Précarité Santé et l’Équipe Juridique Mobile ne sont pas connues des participantCCAS. Les participant es, pour la plupart des hommes seuls, témoignent de difficultés importantes à accéder à un hébergement, y compris en appelant le Service Intégré d’Accueil et d’Orientation (SIAO). Le besoin en hébergement demeure l’un des moins couverts tant à l’échelle du territoire grenoblois que, d’après la littérature scientifique et les rapports associatifs, à l’échelle nationale.
es, et aucun e d’entre elleux ne semble avoir déjà été hébergé.e dans un des établissements d’hébergement d’urgence géré par leLes créateurMDH et bibliothèques permettent aux usagèr es un accès momentané, les associations comme Emmaüs Connect complètent l’offre de la municipalité en donnant accès à des téléphones, ordinateurs et cartes Sim à des prix réduits. Enfin, l’obtention de la carte de transport en commun à tarif solidaire pour les personnes sans ressources s’effectue par l’intermédiaire d’associations telles que l’Accueil Demandeurs d’Asile (ADA) qui réalise les démarches et fournit une aide de dix euros couvrant les quatre premiers mois d’abonnement.
ices de la carte ont également évoqué le besoin d’avoir accès à du matériel informatique et à Internet. Tandis que lesConclusion
Les associations jouent un rôle indispensable dans la satisfaction des besoins exprimés par les personnes exilées, qu’il s’agisse de se nourrir, se vêtir, se soigner, trouver un abri, etc. Bien que la municipalité essaye de répondre à une partie importante de ces besoins, son action ne couvre pas l’ensemble des demandes. Les associations adoptent souvent des approches différentes de celle municipale, notamment dans des domaines tels que l’hygiène ou l’accès aux technologies numériques, permettant ainsi une prise en charge plus globale.
Concernant d’autres besoins, à l’instar de l’apprentissage du français, les dispositifs mis en place par la municipalité sont insuffisants face à l’ampleur de la demande, nécessitant alors un recours aux dispositifs associatifs. De plus, certains équipements de la municipalité répondant à des besoins manifestés par les personnes exilées, comme l’Équipe Mobile Précarité Santé pour l’accès aux soins et l’Équipe Juridique Mobile pour l’accès à l’hébergement et au logement, ne sont pas connus de l’ensemble des personnes qu’ils pourraient intéresser.
Mais il faut nuancer la distinction stricte entre les associations et la municipalité qui s’apparente davantage à une interdépendance fonctionnelle : de nombreuses associations dépendent du soutien financier et logistique de la Ville, tandis que la municipalité valorise les initiatives des associations comme un prolongement de son action publique.
La carte produite au cours de ce projet révèle des dynamiques locales d’accueil telles qu’elles sont vécues par les personnes concernées. L’approche participative a permis de dépasser une vision institutionnelle et surplombante de l’accueil pour proposer une cartographie sensible et fonctionnelle des lieux qui comptent dans les parcours des personnes exilées. Elle constitue un nouvel outil d’analyse du territoire pour les acteurs publics et associatifs qui met en lumière les richesses et les manques de l’écosystème d’accueil grenoblois.

De plus, elle offre aux personnes exilées arrivant à Grenoble un moyen concret de s’orienter en facilitant l’accès aux lieux-ressources. Si la carte finale est aujourd’hui visible au sein de l’association Cuisine sans frontières, une version numérisée (Figure 7) a été réalisée et imprimée en format réduit afin que toutes et tous puissent l’utiliser au quotidien.
↬ Lisa Ferraud.