Cartographier les mouvements migratoires revient nécessairement à « immobiliser » un système qui s’inscrit dans l’espace et dans le temps, dans un contexte social et politique complexe. Il s’agit d’un véritable défi car non seulement les personnes en migration et/ou sur le chemin de l’exil se croisent, mais ils et elles font aussi des « pauses », plus ou moins longues, s’installent temporairement dans un pays, dans un lieu, y restent quelques jours, quelques semaines ou quelques années, et parfois en repartent.
La complexité de ces itinéraires dynamiques, qui défient la géographie et la cartographie des migrations, doit alors s’adapter à des évolutions politiques et temporelles souvent très rapides. C’est pourquoi la cartographie risque toujours d’être anachronique avant même que la carte ne soit terminée
Par ailleurs la mesure des « flux », dont l’étymologie latine fluxus rappelle le sens premier d’« écoulement », suppose d’analyser les migrations en agrégeant des données, à la fois spatiales et temporelles, avec des traitements qui peuvent être très différents. Le terme général de « flux », qu’on trouve dans de nombreux titres de cartographies migratoires, est rarement explicité.
Ainsi un flux migratoire peut-il être mesuré à partir du comptage du nombre de passages effectués en un lieu pendant un intervalle de temps donné (par exemple, le nombre de personnes ayant traversé la frontière États-Unis-Mexique, en 2015, à Ciudad Juárez) ; il peut aussi être mesuré entre deux points (le nombre de personnes parties en 2015 du Chiapas au Mexique pour se rendre en Californie). Dans le premier cas il s’agit d’un comptage du mouvement en train de se faire et mesuré à un endroit précis ; dans le second, le mouvement est reconstitué a posteriori à partir de données quantitatives absolues (le « stock » de personnes mexicaines du Chiapas recensées en Californie depuis 2015). Les cartes prennent aussi en charge des mouvements individuels, qui ne sont plus appelés « flux » mais « itinéraires » ou « parcours », en croisant des données spatiales avec des données qui peuvent être sociales, politiques, temporelles [2].
Rendre compte de la complexité de données temporelles à partir de la cartographie, qui relève d’une analogie spatiale, est un horizon de recherche qui a donné lieu à des innovations techniques et épistémologiques, notamment les chorèmes statiques, puis dynamiques, ou les cartographies informatiques animées, dont certaines sont interactives (Kaddouri, 2008).
Dans le champ des études migratoires, la représentation du mouvement reste un défi, d’autant que l’accès aux données statistiques reste souvent problématique. Les instruments statistiques dont nous disposons [3] sont souvent incomplets, imprécis, voire critiquables dans leur mode de construction. Il faut néanmoins noter de grands progrès qualitatifs depuis les années 2000, stimulés notamment par le développement du « data journalism [4] ». Pour cartographier les processus migratoires, et ce à différentes échelles, il est nécessaire de « généraliser » et de traiter les données disponibles en « paquets », c’est-à-dire de synthétiser les informations disponibles pour imaginer les représentations de grandes tendances, à défaut d’être capable de les quantifier précisément.
En complément de ce travail, nombre de chercheurs et chercheuses travaillent sur le terrain et utilisent la cartographie à une échelle assez fine, comme outil d’analyse destiné à mieux comprendre les processus en cours dans les camps, les lieux d’accueil, les gares, les aéroports, les villes et leurs quartiers.
Des initiatives participatives, ouvertes à la société civile en dehors des uniques cercles académiques, comme Close the camps, The Migrants files (projet abandonné le 24 juin 2016) ou encore Watch the Med (qui semble ne plus être actif depuis octobre 2024), permettent la mise en place d’un appareil de collecte de données quantitatives et qualitatives, et ce grâce à des personnes qui recueillent des informations disparates [5]. Ces projets sont « ouverts et participatifs », ils permettent de réunir et croiser les statistiques de différentes bases de données enregistrées depuis 2000. Effectuant des mises à jour régulières, ces « producteurs de données » sont aussi des acteurs très importants de la « fabrication » de la carte.
Les travaux cartographiques menés par des acteurs non gouvernementaux ou individuels restent fragiles et difficiles à pérenniser : ils peuvent cesser du jour au lendemain, faute de ressources humaines ou financières, nous laissant orphelins d’informations souvent cruciales et introuvables par ailleurs. Pour rappel, la première version de la « carte des morts aux frontières de l’Union européenne » est parue dans la revue Les cahiers d’outre-mer (Clochard, 2003). Elle a ensuite été retravaillée avec Philippe Rekacewicz, et publiée en 2004 dans Le Monde diplomatique. Elle a, depuis, été de nombreuses fois actualisée et complétée. Ces modes de production de la connaissance, encore en cours d’élaboration, s’avèrent particulièrement prometteurs.
À la prise en compte des temporalités dans la cartographie migratoire, et à la nécessité de recueillir des données vérifiables, s’ajoutent des enjeux représentationnels cartographiques spécifiques. « Message dessiné » qui peut être fictionnel et/ou référentiel, la carte est un iconotexte (Cosgrove, 2001 : 148), un ensemble de symboles graphiques définis par des attributs de forme, de taille, de couleur, auxquels on donne une signification : des flèches, des carrés, des ronds ou des traits qui sur la carte symbolisent des réfugiées, des camps, des points de passage, des murs ou des frontières. La légende explicative des éléments constitutifs de la carte répond à une grammaire et à une sémiologie singulières.
Les cartes de flux migratoires élaborées à partir du symbole de la flèche sont les modèles les plus connus de figuration et de formalisation de données spatio-temporelles relatives aux migrations. Dans le cas des cartes référentielles, le passage des réalités observées à la représentation symbolique, en particulier par la flèche, n’est pas sans danger. Tous les choix graphiques – nécessairement subjectifs, même si inspirés de langages institués, comme la sémiologie graphique de Jacques Bertin (1967) – peuvent conduire à des interprétations en décalage, voire en contradiction, avec les intentions des cartographes : des flèches trop épaisses qui pointent dans la même direction risquent d’évoquer (ou suggèrent plus ou moins inconsciemment) une « invasion » ; des ronds trop petits, à peine visibles, peuvent constituer un déni de reconnaissance d’une importante population réunie dans un camp (carte 1).
À droite : « Immigration africaine dans l’Union européenne », Nelly Robin, Atlas des migrations ouest-africaines vers l’Europe 1985-1993, IRD Éditions/Eurostat, 1996
À partir d’une étude de cartes médiatiques des migrations transsahariennes, Choplin et Pliez (2011) ont critiqué la construction « d’un espace migratoire lisse, c’est-à-dire où le trait en dessin continu de quelques routes migratoires occulte toutes les « aspérités » — spatiales et temporelles, d’ordre politique, policier, pécuniaire... — qui jalonnent les itinéraires empruntés par les migrants ». Un des défis de la cartographie des migrations, en complément des approches quantitatives et agrégées de ces mobilités, est de rendre compte du mouvement dans ses dimensions qualitatives et sensibles, notamment depuis le point de vue de celles et ceux qui se déplacent. Les auteurs soulignent ici une tendance des cartes migratoires au réductionnisme, à la déshumanisation et à la dépolitisation des contextes de déplacement.
Choplin et Pliez notent aussi, pour certaines « cartes médiatiques », le risque d’une confusion entre « itinéraires » et « flux », alimentant encore l’angoisse de l’« invasion » :
Les longs traits qui figurent la migration africaine vers l’Europe restituent l’image un peu inquiétante d’une invasion passant par des itinéraires (les villes de Ceuta et Melilla, la Libye, etc.) qui sont pourtant rarement empruntés simultanément par des milliers de migrants. De telles cartes font oublier que ces flux sont marginaux au regard des migrations africaines et même des migrations transsahariennes. »
— Choplin et Pliez, 2011.
L’européocentrisme, ou plus largement la reproduction d’une division entre un « Nord » et un « Sud », le choix de fonds de carte normés qui reconduisent l’imaginaire politique de frontières linéaires et fixes, la réduction du mouvement à des flèches ou à des mesures de stocks, sont autant d’enjeux scientifiques, représentationnels et politiques posés à la cartographie des mouvements migratoires.
« Séparation dans la soirée » (1922)
Un autre risque posé par la cartographie des migrations relève des usages qui en sont faits par les dispositifs étatiques et supra-étatiques pour surveiller et tracer les mouvements de populations et de personnes. Les systèmes d’information géographique (SIG), les GPS, et la cartographie en général, sont bien des outils mis au service de politiques de contrôle et d’exclusion. Dans le registre scientifique, il est donc important de s’interroger sur les usages possibles , hors du monde académique, des cartes produites, et sur les liens entre production du savoir et politique. C’est bien ici toute une éthique du travail de représentation qui est en jeu, en lien avec des contextes politiques et idéologiques conflictuels.
À partir d’une analyse de l’histoire et de l’actualité de la cartographie des flux migratoires, issue de sources très diverses – scientifiques, artistiques, militantes – et de différents contextes géographiques à diverses échelles, nous proposons d’analyser quelques-uns des principaux défis techniques, éthiques, institutionnels et politiques de la représentation cartographique des migrations internationales.
Dans une perspective critique, nous analyserons à la fois le rôle de la cartographie dans la production du savoir et de la connaissance dans le domaine migratoire, et son potentiel de transformation sociale et politique.
Dans un premier temps, nous traçons quelques lignes structurantes de l’évolution de la cartographie scientifique relative aux mouvements migratoires, depuis ses débuts au XIXe siècle jusqu’à aujourd’hui. Dans un second temps, nous identifierons et analyserons les principaux défis techniques et épistémologiques et les enjeux politiques qu’elle continue de poser. Enfin nous présenterons une typologie de cartographies migratoires créatives et « indisciplinaires », qui se situent entre science, art et militantisme.
Évolutions et enjeux
C’est au XIXe siècle, avec la naissance de la cartographie thématique moderne qui utilise des statistiques démographiques, sociologiques et/ou économiques, qu’émergent les premières cartes de flux migratoires. Toutefois ce type de cartographie ne se généralisera que bien plus tard, à la fin des années 1980, au moment où les migrations deviennent un véritable objet de recherche.
Un monde en mouvement, mais peu de cartes pour le montrer
Selon Françoise Bahoken (2013 : 2), la carte Currents of Migrations éditée en 1885, et réalisée par Ernst Georg Ravenstein, géographe et cartographe allemand de la Royal Geographic Society (RGS) de Londres, […] semble être la première carte de flux réalisée avec des flèches » (Carte 2). Cette carte n’établit pas de hiérarchisation entre les flux, elle relève d’une approche qualitative des mobilités internes au Royaume-Uni, à la Grande-Bretagne et à l’Irlande. Un « premier groupe de flèches semble […] illustrer des mobilités locales à courte distance inter-comtés […]. Un second groupe semble représenter des flux internes, caractérisés par l’absence de franchissement de limite. Un troisième groupe de flèches est formé par des flux inter-États (entre l’Irlande et l’Angleterre) qui suggère des mobilités à plus longue distance » (Bahoken, 2013 : 6).
Une autre carte réalisée au XIXe siècle [6] montre les migrations d’ouvriers agricoles en Russie d’Europe vers les régions méridionales, jusqu’à la mer Noire et la mer Caspienne (carte 3).
Alors que les migrations internationales au XIXe siècle sont marquées par des flux très importants [7], et que la cartographie statistique connaît des avancées notoires entre 1835 et 1855 avec « différentes techniques de représentation […] parmi lesquelles celle des mouvements » (Robinson, 1955 : 1), les cartes migratoires restent néanmoins très peu nombreuses. Seule la carte de Charles-Joseph Minard représente, de manière approximative et sans flèches, les migrations à l’échelle du globe en 1858 (carte 6) [8]
En parcourant différents ouvrages et atlas publiés au tournant des XIXe et XXe siècles [9], quelques documents – s’intéressant à des processus plus localisés – utilisent des flèches comme éléments cartographiques.
Nous pouvons citer en exemple les cartes de René Avelot imaginées en 1905 et dessinant les principales migrations au Gabon et au Congo français (Carte 4), ainsi que celle de Jovan Cviji, publiée en 1918, et représentant les déplacements de populations peuplant en partie les pays serbes du XVe au début du XXe siècle (Carte 5). Mais dans les atlas, les flux sont davantage représentés sur les cartes qui montrent des données économiques à l’échelle du monde, où les transferts de café, thé et céréales (blé d’Argentine, des États-Unis ou du Canada vers l’Europe) croisent ceux – quelques pages plus loin – de la production mondiale industrielle (tissus, métallurgie, etc.) (Schrader et Gallouédec, 1923) (carte 7).
L’absence de représentations des flux humains tient à des raisons essentiellement politiques : représenter les grandes migrations européennes aurait signifié mettre l’accent sur des sociétés « développées » en crise. La structure spatiale des échanges économiques entre des couples de lieux d’origine (i) et de destination (j) a dominé l’objet des cartographies de flux jusque dans les années 1980, lorsque les études sur les migrations internationales contemporaines commencent à se développer.
Des cartographies contemporaines de flux (sur)évaluant les processus migratoires
Certaines cartes publiées dans des revues scientifiques ou dans les médias laissent parfois penser que les déplacements de populations sont (très) importants statistiquement par rapport à la population mondiale. Ce type de représentation peut être lié aux couleurs utilisées : le noir ou le rouge foncé ne véhiculent pas forcément le même message que des couleurs froides comme le bleu ou le vert (Bertin, 1967). Des cartes élaborées par des « journaux de référence », comme Le Monde et The Guardian, surinterprètent ainsi fréquemment les processus analysés (Carte 8). À une période où les logiciels de cartographie étaient moins avancés, des cartes – comme celles publiées dans la Revue Européenne des Migrations Internationales (REMI) en 1992 – laissaient a posteriori une impression d’arrivées massives, que la couleur noire – liée aux contraintes de publication de l’époque – renforçait.
Pour Simone Donnefort [10] « cette question ne se posait pas à l’époque », alors que Gildas Simon expliquait :
L’objectif était surtout de montrer qu’il y avait une base d’informations derrière ce type de cartes. Par exemple, pour celles publiées en 1992, elles permettaient, pour l’une, de souligner l’importance des migrations, notamment turques et polonaises, vers l’Allemagne par rapport aux migrations allant du Maghreb vers la France ; pour l’autre, elle rappelait que l’immigration irlandaise vers le Royaume-Uni perdurait, etc. [11][…] À cette époque, nous étions très peu à réaliser ce type de cartes, chacun bricolait dans son coin, nous travaillions à tâtons et j’imagine que des cartes continuent de se faire ainsi. […] Nous n’avions pas de recul sur ces graphismes qui, à mon sens, étaient perçus différemment. Néanmoins plus le temps a passé, plus j’ai prêté de l’attention à ces représentations. Comme me l’a souvent rappelé Abel Bouillet qui m’a enseigné la cartographie, si la carte doit être lisible immédiatement, il est parfois important de ne pas trop ancrer les représentations dans l’imaginaire des lecteurs. »
— Entretien réalisé le 4 février 2016
Représenter des mouvements de réfugiées, des circulations migratoires avec des flèches, c’est naturellement une « tentation cartographique » : l’image qu’elles procurent peut gêner aussi bien les cartographes que les lectrices et les lecteurs en donnant l’impression que les flèches dessinées sur la carte disent autre chose que ce que les cartographes auraient – parfois – souhaité transmettre. Les cartes représentant les flux de demandeurs et demandeuses d’asile vers l’Europe par exemple doivent être comparées avec la population européenne ou encore la population réfugiée aux abords des zones en conflit (près de 84 % des réfugiées dans le monde en 2015 sont accueillies dans des pays limitrophes aux zones de conflit). Si les flux apparaissent spectaculaires sur certaines cartes, la confrontation avec d’autres échelles doit permettre de les relativiser. Rappelons qu’entre 2014 et 2015, le nombre de demandeuses et demandeurs d’asile en Europe a augmenté, mais que leur présence ne représente pas plus de 0,3 % de la population de l’Union européenne aux mêmes dates. Ces représentations peuvent être liées à un « effet loupe », à l’image de certains reportages de télévision montrant l’arrivée de personnes à une frontière sur un plan serré [12]. Ici, c’est le cartographe, qui, en élargissant le trait de la flèche, renforce l’illusion de flux importants.
Les cartes représentant les flux de la migration dite « clandestine » et dont les principaux éléments sont des flèches sans valeur proportionnelle [13], conduisent, par ailleurs, à minimiser, voire invisibiliser d’autres migrations internationales dont les données statistiques sont disponibles. Par exemple, seule une partie des migrations clandestines transitant par l’espace sahélien se dirige ensuite vers le continent européen, alors que les migrations régionales au sein de l’Afrique sont bien plus importantes (Lessault et Beauchemin, 2009). En gommant, volontairement ou non, la diversité des mouvements de populations dans la partie septentrionale de l’Afrique, les migrations se résument trop souvent aux routes empruntées par des réseaux mafieux. Même s’il ne s’agit pas de nier l’existence de ces économies criminelles, dont les politiques migratoires européennes sont en partie responsables, la surreprésentation des liens entre immigration et criminalité se renforce lorsque, sur les cartes, les routes migratoires sont associées à celles des trafics d’armes, de drogues ou autres produits de contrebande.
Par définition, ces migrations « illégalisées » ne peuvent pas être comptabilisées
On peut citer la carte Trans-Sahara Trafficking and Threat Finance (figure 9) qui représente les trafics illicites vers la Libye depuis le Mali, l’Algérie, le Tchad, le Soudan et l’Égypte. Cette carte propose des interprétations erronées dans le sens où les réponses à la lutte contre le crime organisé (armes et drogues) ne peuvent pas être les mêmes que celles qui peuvent être apportées à la migration des personnes en quête de protection ou d’une vie meilleure.
Ces « inepties cartographiques » sont bien souvent utilisées dans la propagande des mouvements d’extrême droite xénophobes et opposés aux migrations. Par exemple, pour le Mouvement pour la Remigration, au regard de la carte 4 reproduite dans un de leurs rapports, « la fabrication de réfugiés [ne serait] qu’un secteur de la criminalité comme les autres […]. Les groupes armés [“recruteraient”] ainsi toujours plus de réfugiés. Ces “migrants” [deviendraient] à leur insu les banquiers du crime et du terrorisme, finançant du matériel, des hommes, et des armes […]. [Selon ce mouvement, il serait] crucial de réaffirmer l’ancrage des réfugiés sur leur propre territoire pour ne pas céder de terrain aux terroristes [14]. »
Devant de tels propos, aussi faux qu’injustifiables juridiquement et politiquement, les cartographes se doivent de réfléchir à ce qu’ils et elles produisent, et à la manière dont ils et elles conçoivent les cartes. Une question est notamment de savoir s’ils et elles doivent choisir entre « la flèche » – avec ou sans valeurs proportionnelles –, ou « l’itinéraire », pour essayer de tracer plus précisément le paysage de la migration en relation avec les contextes locaux et régionaux.
Prise en compte et ignorance des contextes (géo)politiques
Les représentations cartographiques des flux migratoires ignorent souvent les contraintes de la situation géopolitique régionale auxquelles les personnes sont confrontées. Par exemple, pour les réfugiées syriennes fuyant la guerre depuis 2011, l’impossibilité de se déplacer vers Israël, les craintes des populations de confession sunnite d’aller vers l’Irak et l’Iran, les difficultés pour rejoindre les États du Golfe et du Caucase du Sud, ne sont pas indiquées sur les cartes. Pourtant, ces différents éléments expliquent en partie que les réfugiées soient situées majoritairement en Jordanie, au Liban et en Turquie et que certaines s’orientent ensuite vers des pays d’Afrique, d’Europe voire d’Amérique latine. La majorité des cartes de flux migratoires parviennent en effet à la perception d’un territoire où les difficultés sociales, les obstacles administratifs ou (géo)politiques et la distance ne sont pas pris en compte.
Les concepteurs de ces cartes [dont nous faisons parfois partie] opèrent ainsi de nombreux raccourcis qu’ils imposent au lecteur ; ils laissent de côté les questions essentielles, mais peu documentées de la hiérarchisation des flux ou de l’importance de telle ou telle agglomération le long de ces routes, ou encore de la variabilité du phénomène, de sa saisonnalité »
— Choplin et Pliez, 2011.
Il est difficile de faire figurer toutes ces informations sur une même carte, sous peine d’avoir un document difficilement compréhensible. Il est néanmoins important de représenter des éléments qui expliquent en partie l’environnement dans lequel s’effectuent les migrations des personnes. Ce type de cartographie dessine diverses « rugosités » à travers lesquelles les parcours s’élaborent. En regardant par exemple la carte 5 intitulée Expérience migratoire et justice spatiale. L’itinéraire de Rokyata, mineure ivoirienne, du Sahel aux rives de la Méditerranée, issue des travaux de Nelly Robin (2014 : 104), on constate que ces jeunes migrantes – au-delà du fait qu’elles et ils ont recours à différents moyens de transport (maritime, terrestre et aérien) – ont des parcours qui se déploient différemment selon les étapes.
À certains moments, les personnes peuvent voyager de manière autonome, à d’autres, elles ont recours à des moyens illicites ou sont prises dans des réseaux de traite. Ces diverses ressources, plus ou moins choisies, parfois complètement subies, se retrouvent aussi bien dans la circulation que dans l’attente dans des villes ou dans des espaces frontaliers, voire une fois qu’elles et ils ont rejoint un pays où décider de s’installer.
L’objectif de ce type de carte qualitative est de saisir les itinéraires composant les flux migratoires « dans leur diversité et leur richesse, de les englober et de les unifier tout en tenant compte des leurs multiples formes, mécanismes et pratiques » (Robin, 2014). Au sein de ces parcours, nous savons également que les migrantes peuvent être soumises à divers statuts administratifs selon le pays où ils se trouvent. Elles et ils peuvent aussi être confrontées à des contrôles et/ou bénéficier de mesures de protection, ce qui conduit à vivre des situations très hétérogènes selon les pays (Migreurop, 2012 : 121-123), dessinant ainsi une « territorialité du risque juridique » (Robin, 2014 : 113) (carte 10).
Dans la plupart des cartes de flux migratoires, les auteurices adoptent une perspective surplombante qui évacue le point de vue des personnes migrantes. Pourtant, la représentation de données quantitatives agrégées n’est pas nécessairement opposée à des données qualitatives et explicatives. Florence Boyer (2005 : 432) a ainsi montré que les Nigériennes effectuant des migrations circulaires entre Bankilaré (Niger) et Abidjan (Côte d’Ivoire) via Niamey (Niger), qualifiaient différemment les étapes de leur parcours migratoire : certains tronçons s’apparentent à des « lieux de recréation de l’intimité sociale », d’autres, connus par l’histoire migratoire, sont relativement rassurants, alors que ceux qui leur sont étrangers sont assimilés au danger (carte 11).
Florence Boyer précise par ailleurs que « les migrations circulaires [et autres mobilités internationales] ne sont pas géographiquement situées, au sens de localisées sur une carte, mais elles mettent en jeu une pluralité de localisations, de même qu’elles mettent en jeu le mouvement » (Boyer, 2005). Pour le dire autrement, il ne faut pas oublier que les parcours migratoires sont liés à des contextes politiques locaux, régionaux et continentaux, qui agissent comme des ressorts dans la dynamique des migrations. Montrer, au sein de ces « pièces de théâtre cartographiques », les « décors » et les « acteurices » [15] (Rekacewicz, 2014), qui ne cessent de se recomposer au fil des étapes, permet de rappeler l’importance des contextes (géo)politiques.
Représenter les flux migratoires : un défi cartographique qui perdure
En 2015, 197 pays étaient reconnus par les Nations Unies. Une carte où serait représentée l’intégralité des flux entre les différents États devrait faire figurer près de 38 000 flèches (soit (197×197)-197 = 38 612) matérialisant le lien de chaque pays avec les autres pays du monde : une telle carte serait illisible. Les circulations sont par ailleurs très complexes. Dans la nomenclature migratoire, beaucoup de pays remplissent plusieurs fonctions : l’Espagne et l’Ukraine, par exemple, sont autant des pays de départ que de transit et d’arrivée. Les typologies sont difficiles à établir. Or la mise en ordre de l’espace géographique, ou la manière dont les cartographes représentent le territoire, est l’une des conditions pour rendre « pensable » l’espace du monde représenté (Jacob, 1992). Il faut donc faire des choix.
L’articulation entre les données et la sémiologie graphique
La cartographie des migrations peut s’appréhender à travers différents types de données : des données qualitatives (récits de parcours), des données quantitatives absolues, brutes (variables de stocks et matrices origine/destination) et des données quantitatives relatives, transformées (des indicateurs). Au regard des règles de la sémiologie graphique, théorisées et formalisées - comme déjà mentionné plus haut - par Bertin (1967), chaque type de données détermine des modes de représentation distincts : des classes de valeurs pour les données relatives, des symboles proportionnels pour des données de stocks, et des flèches de tailles proportionnelles pour des données de flux quantitatifs. Très diversifiée et hétérogène, la production cartographique sur les migrations de population semble présenter deux tendances opposées.
Tout d’abord on peut noter que les cartes contribuent souvent à une « immobilisation » des processus décrits, en privilégiant l’utilisation de données statiques, en particulier des variables de stocks. Ce choix favorise les cartographies en symboles proportionnels, et montre les migrations sous une forme d’ancrage (c’est-à-dire des pays d’où viennent les migrantes ou ceux dans lesquels ils et elles arrivent/ou restent temporairement, dans un temps plus ou moins long). La représentation du mouvement y est détournée, en mettant en évidence un état de la résultante d’un phénomène plutôt que le phénomène lui-même (Bahoken, 2009a). Plus faciles à fabriquer, ces cartes résolvent de fait la question de la sélection des flux pertinents.
À l’inverse, les nouvelles technologies (outils de conception graphique, interactivité, animation, etc.) conduisent à « dynamiser » les cartes représentant les migrations. Ce processus peut se lire d’une part dans la production de flèches proportionnelles, choix sémiologique relativement difficile à concevoir et à dessiner (superposition, courbures des flèches, détermination des tracés qui font sens, sinuosités, taille proportionnelle aux autres éléments de la carte), mais parfois utile pour comprendre certains enjeux de circulations et l’importance de certains déplacements. D’autre part la carte peut s’appuyer sur la production de flèches qualitatives à partir d’informations éparses, voire incomplètes, pouvant conduire à des messages cartographiques erronés.
Échelles et temporalités
Un des enjeux de ces cartographies semble se jouer dans la complexité et la prise en main des informations disponibles. Les phénomènes migratoires présentent une dimension sociale (type de population), une dimension spatiale complexe (origine, destination, étapes, retours, etc.) et une dimension temporelle forte (mouvement des déplacements, temps d’attente, évolution des phénomènes) particulièrement difficiles à articuler pour les cartographes, les obligeant à penser leur carte « en plusieurs niveaux de lecture ».
Afin de combiner ces différents aspects au sein d’un document cartographique, il est nécessaire de réaliser des opérations tant sur les données que sur les modes de représentation. Les facettes des processus migratoires apparaissent différemment selon les échelles d’analyse et les niveaux d’agrégations choisis. Des sélections d’ordre statistique peuvent par exemple permettre d’estomper un « effet spaghetti » lors d’une superposition importante de flux. D’un point de vue géographique, changer d’échelle ou de niveau d’agrégation permet de passer d’une image globale à une échelle plus locale, jusqu’à abandonner les représentations agrégées pour narrer les histoires individuelles.
La thématique migratoire propose un retour à la cartographie des itinéraires et des parcours. Mais, contrairement à la dimension descriptive des illustrations des itinéraires de voyages et d’exploration, cette cartographie se veut analytique en tentant de saisir les contraintes subies par celles et ceux qui effectuent le parcours et qui n’apparaissent pas dans les données statistiques.
Plutôt qu’une carte globale, il s’agit alors de représenter l’ensemble des lieux de l’itinéraire d’une personne. Dans cette démarche, la représentation de la dimension temporelle permet de saisir des contraintes qui n’apparaissent pas au niveau spatial (attente, errance). Mais à cette complexité méthodologique s’ajoute alors une relative complexité technologique (animation, 3D) qui peut représenter un frein (coût, temps de traitement) pour la production cartographique.
Nouvelles technologies, nouvelles cartographies ?
Avec l’ordinateur, on peut faire bouger les cartes. »— Brunet, 1987.
On peut les animer et rendre possible l’interaction avec l’utilisateurice. Dans le cadre de la cartographie des flux migratoires, ce dernier point est un moyen souvent utilisé pour transférer la responsabilité de la sélection de l’information du ou de la cartographe à l’usager/usagère de la carte. Ainsi de nombreux sites proposent des cartes où il est possible de cliquer sur tel ou tel pays pour voir se dessiner les flux de populations entrantes ou sortantes. Ces mouvements se matérialisent soit par des symboles proportionnels [16], des gradations de couleur ou des lignes plus ou moins épaisses [17].
Certaines représentations inspirées de l’infographie peuvent aussi être relativement originales [18]. Combinées avec l’animation temporelle, ces cartes permettent de tracer l’évolution dans le temps des flux migratoires pays par pays. L’exposition de Raymond Depardon et Paul Virilio, Terre natale. Ailleurs commence ici, scénographiée par les artistes et architectes américaines Diller Scofidio, Renfro et Mark Hansen, Laura Kurgan et Ben Rubin, offre, dans une salle de près de 400 mètres carrés, des visualisations à 360 degrés : celle des migrations de réfugiées au cours des cinq dernières décennies, et celle des transferts d’argent des migrantes. Elles font sûrement partie des réalisations les plus réussies [19].
Lorsque les initiateurices de ces projets de cartographie dynamique laissent le choix aux usagères et usagers de sélectionner elles et eux-mêmes l’information (indicateur, année, pays), les cartographes, ainsi transformées en développeureuses, ne jouent plus leur rôle de thématicienes puisqu’ils et elles renoncent à livrer des clefs de lecture globale (ou du moins leur intention, leur vision du monde). Dans ce type d’application, la carte n’est plus un moyen de matérialiser et donner à voir un regard spécifique sur le monde, elle est construite par les développeureuses de l’application et par celles et ceux qui vont générer, à la demande, des représentations spécifiques.
Mais ces nouvelles applications cartographiques dynamiques ne sont pas dégagées des enjeux politiques et éthiques : on peut parfois y déceler – comme pour la cartographie thématique classique ou conventionnelle – des intentions politiques. Le 26 octobre 2015, l’agence d’informations finlandaise Lucify [20] publiait une carte interactive (carte 12) et animée permettant de visualiser les flux de demandeurs et demandeuses d’asile arrivé.es en Europe entre janvier 2012 et septembre 2015. Repérée par The Independent (27 octobre 2015) et diffusée par la presse française (Slate le 29 octobre 2015, L’Observateur le 30 octobre 2015), cette carte s’est à l’époque répandue comme une traînée de poudre sur Internet.
Tout d’abord, sur cette carte européocentrique, seuls les flux vers les pays « européens » sont représentés. Les réfugiées accueillies dans les autres pays (tels la Jordanie, le Liban et la Turquie qui en accueillent pourtant la majorité) ne sont pas représentés. Deuxièmement, les choix graphiques utilisés pour représenter l’information sont également significatifs des intentions des auteurs. Sur cette carte animée, les mouvements des demandeureuses d’asile sont représentés par de petits traits qui se déplacent des pays de départ vers les pays d’arrivée. Contrairement à ce qui peut sembler au premier abord, cette carte ne se situe donc pas au niveau des parcours individuels et ne raconte pas les histoires des personnes en mouvement. Loin des réalités sinueuses des parcours migratoires réels, ici chaque trait (qui représente vingt-cinq ou cinquante personnes) suit une trajectoire rectiligne, comme un missile lancé vers l’Europe.
Finalement, cette sémiologie graphique animée met en scène un scénario d’invasion quasi militaire, avec des pays européens attaqués – et envahis – par les étrangères. Il est difficile de savoir si la rhétorique d’invasion de cette carte est consciente et volontairement choisie. Ce qui est certain, c’est que cette agence, qui n’est pas spécialisée en cartographie, voulait montrer « l’ampleur de la crise » des réfugiées. Cette carte résulte probablement à la fois d’une maladresse (la sélection des données) et de la volonté de retranscrire graphiquement une idée préconçue (l’arrivée massive d’exilées en l’Europe).
Au-delà de la sémiologie graphique, une carte résulte d’un processus technique et intellectuel qui consiste à convertir des données concrètes plus ou moins connues en une représentation abstraite (Lacoste, 1976). Or cette abstraction graphique remplace la richesse contenue dans la multiplicité des histoires vécues par une représentation holiste qui tente de porter un regard sur le monde. De fait, les cartes de géographie, leur construction et leur sémiologie passent bien souvent à côté de la réalité. Elles dessinent et schématisent la géographie des phénomènes spatiaux, mais les racontent mal. Les cartes des migrants morts aux frontières [21] permettent-elles de rendre compte des drames humains qui ne cessent de se succéder ? Et que veut dire « rendre compte » de ces drames depuis la cartographie et plus largement la science ? Si la sémiologie graphique utilisée dans la cartographie scientifique ne peut pas tout, qu’en est-il de l’approche artistique ? L’art permet-il de raconter autrement l’espace géographique ?
Cartographies des migrations entre art, science, politique et militantisme
Parmi les cartographies ayant pour objet les migrations internationales, certaines réalisations se distinguent des représentations conventionnelles regroupées dans les manuels scolaires, les ouvrages universitaires ou les atlas. Ces cartographies défient les règles des fonds de carte institutionnalisés et de la sémiologie graphique. Elles inventent des langages nouveaux et bouleversent nos repères habituels de fabrication et de lecture de cartes. Ces productions, individuelles ou collectives, sont le fait de cartographes, d’artistes, de militantes, de personnes en situation d’exil. Si elles constituent un corpus très hétérogène, elles relèvent toutes, à différents degrés, d’un positionnement que l’on pourrait qualifier de « critique », d’« expérimental » (Crampton et Krygier, 2005 ; Gintrac, 2012), d’« indisciplinaire » ou encore de « participatif » (Mitchell, 1995), chacun de ces termes renvoyant à des horizons épistémologiques distincts. En interrogeant les normes de représentation, ces cartes visent à défier le projet positiviste de la supposée neutralité du savoir.
Sans prétendre à l’exhaustivité, nous proposons dans cette troisième partie d’explorer la nébuleuse de ces cartographies migratoires critiques, en tentant de dégager au moins deux tendances principales : celles qui donnent à voir, selon la métaphore du dévoilement, les dispositifs de contrôle et de surveillance des migrations afin de les dénoncer ; et celles qui documentent les parcours et les expériences migratoires individuelles et collectives. Ces deux catégories n’épuisent évidemment pas la richesse des perspectives adoptées. Amenée à être complétée et discutée, cette typologie ouverte est pensée comme une invitation à poursuivre la réflexion sur les modes de figuration des processus migratoires.
Cartographies de « dévoilement » des dispositifs du contrôle migratoire
Les réalisations qui suivent prennent le contre-pied des cartographies conventionnelles : elles ne représentent pas le mouvement, mais tout ce qui le contrarie, le restreint, le prolonge ou le réoriente. Par la mise en visibilité des dispositifs de contrôle, ces cartes servent d’arguments scientifiques et politiques, voire parfois de preuves juridiques.
Publié et mis à jour depuis 2012, l’Atlas des migrants en Europe, sous-titré « géographie critique des politiques migratoires », du collectif scientifique et militant Migreurop, s’inscrit dans cette « topique de la dénonciation » (Boltanski, 2007 : 113). Sur fond de cartes et à l’appui d’une sémiologie graphique conventionnelle, l’apport critique tient ici aux données représentées. À titre d’exemple, la carte des lieux de détention arbitraire des étrangères au Maroc, imaginée et réalisée en février 2015 par une des membres du collectif, Elsa Tyszler, est symptomatique de l’enjeu cartographique. Pour la première fois, une carte montrait a minima le nombre d’étrangères détenues dans dix-huit villes du Maroc (écoles, centres sociaux, complexes sportifs, etc.). Elle a non seulement eu un impact dans différents médias, mais elle a également conduit le président du tribunal administratif de Casablanca à dépêcher un huissier sur plusieurs lieux, afin d’ouvrir une enquête suite à la grande rafle menée par les autorités marocaines dans les camps établis près de l’enclave espagnole de Melilla.
Une collection d’atlas sur les questions migratoires Depuis 2009, le réseau Migreurop [22] a publié aux éditions Armand Colin quatre atlas (trois éditions de l’Atlas des migrants en Europe et un ouvrage général hors-collection), pour donner à voir et mieux faire comprendre l’évolution des politiques migratoires européennes et leurs conséquences, réalités finalement peu connues du grand public
Si de nombreuses cartes de l’Atlas des migrants en Europe utilisent des données compilées par des organismes chargés de comptabiliser afin de surveiller les migrations [23], ces données sont en partie subverties pour faire la démonstration des conséquences néfastes, voire meurtrières des dispositifs de contrôle.
D’autres réalisations opèrent une critique des politiques migratoires en représentant des données permettant de comprendre leurs fonctionnements et leurs effets, mais aussi en bouleversant les conventions cartographiques.
Dans le blog Carnet Néocartographique, Nicolas Lambert présente des « métaphores cartographiques » [24] créées avec Olivier Clochard (Clochard et Lambert, 2015). À partir de statistiques sur la mortalité migratoire aux frontières de l’Union européenne et de dessins de presse, trois cartes explorent des figurations frontalières inédites. La combinaison des sources statistiques et médiatiques dans l’élaboration de ces cartes donne lieu à des travaux qui permettent de s’interroger tant sur les processus migratoires (ici, à partir du taux de mortalité en migration) que sur leur médiatisation.
La Cartographie critique du détroit de Gibraltar, « carte tactique », a été réalisée en 2004 par le collectif d’artistes, scientifiques et militant.e.s Hackitectura basé en Espagne et fondé en 1999 par des architectes, programmeurs, artistes et activistes qui se consacraient à l’étude des corps en mouvement et des flux électroniques dans des territoires émergents [25] (carte 13). Au fond de carte référentiel sur le détroit de Gibraltar sont associées des données sur les localisations et le fonctionnement des dispositifs de surveillance de l’Union européenne. La représentation de la terre en jaune et de la mer en noir, et le foisonnement des symboles de dispositifs de surveillance servent un propos critique sur l’hypersécurisation et la militarisation de ces territoires.
Dans un registre où le référentiel topographique est absent, Migmap, programme de création artistique, produit par la plateforme de conservation et d’exposition d’œuvres d’art k3000 établie en Allemagne, est une création en quatre volets de visualisation des politiques migratoires européennes [26]. Sont ici cartographiés, à partir de figurations dynamiques et interactives, les discours politiques, les réseaux d’acteurs, les lieux et pratiques significatifs des politiques migratoires ainsi que le processus d’européanisation dont elles émanent (Carte 14).
Enfin, au-delà de cartes mises au service de démonstrations scientifiques et politiques, le travail du collectif d’artistes, activistes et chercheur.se.s Forensic Architecture investit la carte en tant que preuve juridique. À partir de sources diverses, et notamment d’images provenant des dispositifs de surveillance en Méditerranée, le projet The Let-to-Die Boat [27](Heller et Pezzani, 2014) reconstitue la cartographie du naufrage d’un navire et de ses passagers en exil. Ce document a servi de preuve dans le cadre d’un procès intenté par une coalition d’ONG contre plusieurs États membres de l’OTAN, accusés de non-assistance aux naufragé.e.s, et a été utilisé en tant que modèle de preuve dans d’autres procès du même type. À cette entreprise de « visibilisation » des effets des politiques migratoires, répond une autre forme de critique qui entend documenter les expériences individuelles et collectives.
Deux projets se situent à l’interface des cartes de « dévoilement » des politiques migratoires et des cartes d’expériences vécues par les individus et les groupes. On peut citer dans ce registre la cartographie participative et dynamique Close the Camps, créée par Migreurop en 2013, qui cherche à faire connaitre l’Europe des camps en « mobilisant toutes celles et ceux qui s’opposent aux mécanismes d’enfermement et d’éloignement des migrants en vue de défendre leurs droits fondamentaux ». Des éléments d’expériences de personnes ayant subi les camps d’étrangers sont croisés à un projet de recensement de ces camps.
On peut également citer une série de cartes réalisées par Philippe Rekacewicz et publiées à la fois dans Le Monde diplomatique et sur notre site de recherche indépendant visionscarto.net. Dessinées à la main, elles rompent avec l’illusion de « cartes objectives » et sans auteur, et réhabilitent la sensibilité des cartographes. La singularité de ce geste cartographique, en esquisse, humanise la carte, et au-delà de la carte, le sujet qu’elle représente.
La carte de la « Grande roue africaine » (carte 15), dessinée à la main, entre ambition scientifique et artistique, place les questions migratoires dans un système de causalités géopolitiques et économiques entre l’Afrique et les autres continents. La carte figure un système d’échange assez complexe dans lequel le continent africain est littéralement « empêtré ». Elle décrit un mouvement perpétuel entre l’Afrique et différents partenaires, que les flèches ne symboliseraient que très imparfaitement. Le rouage, mode de représentation continu, symbolise la permanence et la continuité dans les termes d’un échange profondément inégal : « l’Afrique sauve l’Europe qui appauvrit l’Afrique qui nourrit l’Europe qui asservit l’Afrique qui paye l’Europe qui continue de détrousser l’Afrique… ». Cette symbologie circulaire peut être considérée comme une forme de représentation alternative à la flèche.
On peut aussi citer une autre carte, issue d’un projet réalisé en prolongement de la carte « Mourir aux portes de l’Europe [28] crée par Olivier Clochard au début des années 2000 : l’« Europe des trois frontières », qui représente la létalité de l’ensemble du dispositif « d’empêchement » des circulations migratoires. La carte fait apparaître une frontière européenne qui n’est plus seulement une ligne qui sépare des ensembles géographico-politiques, mais un système qui se déploie sur une immense surface diffuse et qui s’étend loin, très loin vers l’Afrique subsaharienne et le Moyen-Orient. Philippe Bonditti parle de « frontière pixélisée », où l’on « passe d’une ligne à un ensemble de points de connexion », c’est-à-dire que la « frontière ligne » devient une « frontière surface » (Bonditti 2004, Bigo & Guild 2005) .
Les cartes présentées dans la section suivante, plutôt que donner à voir des systèmes de causalité et des dispositifs de contrôle, relatent plus spécifiquement des expériences individuelles et collectives, en proposant d’adopter le point de vue de celles et ceux qui se déplacent.
Cartographies critiques des expériences migratoires
Les cartes présentées ici traitent de ce que les trajectoires vécues engagent en termes d’obstacles et d’opportunités, de contraintes ou de ressources, de pratiques et d’imaginaires.
Les cartographies manuscrites de parcours migratoires individuels réalisées dans le cadre de l’exposition « Moving Beyond Borders » [29] en sont un exemple. Associées en binôme à des cartes numériques sur les dispositifs de contrôle, ces cartes manuscrites ont pour objectif de représenter leurs effets sur le parcours et le vécu des individus. C’est le cas de la carte dessinée par Lucie Bacon intitulée « Cinq ans pour rejoindre Hambourg depuis Kaboul », réalisée sur la base d’un entretien entre un citoyen afghan rencontré en Roumanie et Bénédicte Michalon, chercheuse et membre de Migreurop. La carte exprime le poids de l’enfermement, les temporalités et les espaces parcourus, les mobilités volontaires et contraintes, les expériences multiples de privation de liberté (Carte 16).
Dans le registre de la visualisation de données narratives et discursives, l’œuvre cartographique « H-OUT-Guide de l’immigration », réalisée en 2010 par le graphiste et illustrateur algérien Zineddine Bessaï, a été conçue comme un guide cartographié à l’usage des Harragas [30]. La carte présente la Méditerranée et ses deux rives, avec de nombreux symboles représentant les dispositifs de contrôle, mais aussi des figures de récits entendus depuis les rives du Maghreb. Les toponymes sont des translittérations de l’arabe et reprennent le vocabulaire
lié à la harraga : par exemple l’Europe est traduite par « Oropa », et la mer Méditerranée par « la mort méditerranée ».
« The Mapping Journey Project », installation réalisée entre 2008 et 2011 par Bouchra Khalili, artiste franco-marocaine, s’inscrit également dans un processus de cartographies narratives. Composée de huit courts-métrages (The Mapping Journey) et de huit sérigraphies (The Constellations), cette installation donne à voir et à entendre des récits de parcours migratoires individuels. Chaque vidéo est un plan fixe où se meut une main traçant un parcours sur un fond de carte conventionnel. L’image est accompagnée de la voix de la personne qui dessine et qui élabore un récit à l’oral. Les sérigraphies (issues de huit récits, réalisés dans cinq pays et six villes différents) cartographient des trajectoires sous forme de constellations d’étoiles blanches sur fond bleu uni, en brouillant ainsi les repères topographiques conventionnels (figure 17).
Au-delà du processus de ré-énonciation cartographique de récits et de discours entendus ou suscités par les chercheur.se.s, les travaux suivants sont issus de coproductions entre personnes exilées, artistes et/ou chercheureuses.
« Latino/a » est une série cartographique réalisée en 2003 par l’artiste mexicain Pedro Lasch et huit personnes ayant traversé la frontière entre le Mexique et les États-Unis. Ce travail met en jeu la carte depuis une perspective « plus-que-représentationnelle ». Autrement dit, l’intérêt se porte sur ce que représente la carte, mais aussi sur la carte comme objet transporté pendant les voyages. De 2003 à 2006, l’artiste a remis quarante cartes représentant l’Amérique du Nord à vingt personnes qui se préparaient à traverser la frontière nord du Mexique vers les États-Unis. Chacune a reçu deux cartes : une première à conserver et une seconde à renvoyer à l’artiste à l’arrivée. Cette installation rassemble les huit cartes que Pedro Lasch a reçues. Froissées, pliées, décolorées, elles portent les marques de la traversée. Chacune d’entre elles est accompagnée d’un cartel indiquant le nom de la personne qui en est la ou le co-auteurice, accompagné de quelques éléments relatifs à son expérience.
Enfin, l’installation plastique « Cartographies traverses, des espaces où l’on ne finit jamais d’arriver » relève d’un processus créatif partagé. Cette installation a été produite en 2013 par des chercheuses, des artistes et douze habitantes de Grenoble en situation de demande d’asile ou de réfugiées [31]. Réunies en atelier, les co-auteurices ont réalisé une légende collective à partir de mots significatifs des expériences migratoires. Les mots ont été symbolisés par des gommettes de formes et de couleurs différentes. À partir de ce travail, qui avait notamment pour intention de dépasser l’atomisation de la parole individuelle, chaque participante a dessiné plusieurs cartes utilisant la légende collective. Certaines ont aussi modelé leur carte dans l’argile ou dessiné et brodé sur de grandes nappes blanches, à l’invitation de l’artiste-plasticienne Marie Moreau. Ce travail est autant une recherche sur les modalités possibles de relations à établir entre artistes, chercheureuses et personnes en situation de lutte pour leurs droits, que sur les modes de figuration des expériences migratoires (Carte 18).
Conclusion
Au même titre que la recherche en migrations internationales s’est dotée de nouveaux cadres théoriques et conceptuels pour penser les mobilités dans leur changement et leur complexification, les cartographies semblent elles aussi être remises en cause dans leurs fondements par les dynamiques internationales. Les migrations réinterrogent non seulement le territoire et les frontières dans leur conception classique, mais conduisent également à faire émerger d’autres types de représentations de l’espace, du mouvement et des enjeux politiques associés.
Une partie des cartes présentées, en particulier dans la dernière partie de l’article, ont pour point commun d’associer (et d’assumer) des intentions artistiques, politiques, scientifiques et militantes. On pourrait les définir comme relevant de cartographies « loin des us et coutumes académiques » et qui s’affirment « contre la pensée unique » (Lambert, 2013).
Néanmoins, ces cartes ne peuvent pas se penser uniquement comme des « contre-cartographies » : plutôt que de les opposer aux cartes qui répondent à un régime normé de représentation (flèches par exemple), il s’agit de les penser comme complémentaires. Depuis la posture du dévoilement et de la dénonciation jusqu’au processus de subjectivation du geste et de la figuration cartographique, ces réalisations entendent dénaturer nos imaginaires des migrations, largement construits à partir d’images récurrentes et omniprésentes, et notamment cartographiques.
Lire aussi
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