Cartographie sensible d’une flânerie à pied

#cartographie_sensible #cartographie_émotionnelle

27 juin 2025

 

En mai 2025, l’école doctorale Sciences de l’Homme, du Politique et du Territoire (SHPT) de l’Université Grenoble Alpes a organisé un atelier au cours duquel nous avons exploré diverses approches de cartographie sensible et expérimentale utilisables pour la recherche en sciences sociale.

Une des expérimentations proposées consistait en une déambulation de deux heures dans un espace d’environ 500 m de diamètre autour de la Cité des territoires, le site de l’Institut d’urbanisme et géographie alpine (IUGA). Les participantes étaient invitées à observer et ressentir l’espace dans toutes les dimensions possibles : atmosphères, fractures, éléments remarquables, végétation... mais aussi les sons, le bruit, les couleurs, les fragrances, les mouvements, les émotions... Puis de restituer les données collectées sur une carte de terrain et l’expérience spatiale sous la forme d’une ou plusieurs cartes.

Dans cet exercice, tous nos sens sont en alerte pour capturer tout ce que nous ne voyons ni ne ressentons pas habituellement lorsque nous marchons. En toute liberté, en toute sensibilité, on essaye de comprendre ce que les lieux nous disent... Et souvent, ils nous précipitent dans un imaginaire poétique.

 

Texte et illustrations : Philippe Paumelle

Doctorant en architecture
Introduction et coordination de l’atelier : Philippe Rekacewicz et Cristina Del Biaggio

 

Je cherche à retranscrire ma flânerie à pied, guidée par le chant des oiseaux et les appels des enfants.

J’ai marché jusqu’à me laisser happer par des groupes d’oiseaux, m’attardant surtout là où plusieurs espèces cohabitaient.

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Illustration des Blue routes, dénomination des routes d’accès à la ville qui s’ouvraient ponctuellement, en brèches dans le siège.
Croquis de Philippe Paumelle.

Je me suis volontairement perdu dans les nœuds de la ville, curieux de savoir si je parviendrais à me concentrer au milieu du tumulte.
En somme, je marche, et ne m’arrête que lorsque quelque chose me trouble, un chant, un cri, une présence sonore qui m’attire.

Ma manière de représenter cette errance prend la forme d’un plan : un tracé linéaire dont l’intensité varie selon les événements qui jalonnent mon passage.

***

Les oiseaux, comme les enfants, ont ce ricanement complice qui tranche l’air sans se soucier de qui cela pourrait déranger. Ils sont libres de remplir le vide entre les immeubles avec ces cris qu’on leur reconnait. Comment un si petit corps peut-il émettre autant de bruit, un moineau plus petit que notre paume pépier comme le plus puissant des sifflets.

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Le chant des oiseaux et des enfants
Croquis de Philippe Paumelle.

Ils crient comme crient les enfants dans une cour de récréation.

Souvenez-vous de pourquoi vous criiez à pleins poumons : pour faire respecter les règles d’un jeu, pour rire nerveusement tout en étant poursuivis, pris entre l’excitation de fuir et la peur d’être attrapés.

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Croquis de Philippe Paumelle

On criait de joie, simplement parce qu’on était dehors. Nous vivions alors intensément, jusqu’à en perdre haleine.

Et si, devenus adultes, nous ne le faisons plus, les oiseaux, eux, vivent toute leur vie ainsi.

Je me dis que les enfants sont des oiseaux, ou peut-être les oiseaux sont-ils des enfants restés libres.

Pourquoi est-ce que je cherche ces rires dans la ville ?
Certainement parce que ce sont les derniers sons de liberté qui me rendent heureux, au cœur du tumulte moderne dont les bruits me contrarient. Parce que je ne serai jamais un oiseau, et plus jamais un enfant.

En cherchant l’oiseau, j’ai trouvé le ciel.

En cherchant l’enfant, je me suis souvenu de pourquoi je riais.

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Le chant des oiseaux et des enfants dans la ville.
Croquis de Philippe Paumelle.