
Quand on évoque les reines africaines, on pense presque immédiatement à l’Égypte, à l’illustre Cléopâtre, à la magnifique Néfertiti, ou encore à la biblique reine de Saba. L’Histoire oublie souvent les formidables Candaces de Méroé.
Leurs récits, transmis dans une poignée de textes, restent entourés de légendes et de mystères : leur société était-elle matriarcale ? Étaient-elles de simples reines régentes et des mères de rois ? Étaient-elles vraiment de redoutables cheffes militaires, ayant infligé une écrasante défaite à l’Empire romain et à son puissant empereur Auguste ?
« Au sommet de la hiérarchie royale, se trouvait la reine »
Ces reines ont régné par intermittence sur le royaume de Koush, dont le territoire couvre une partie de l’actuel Soudan et de l’Éthiopie et la capitale était Méroé. Des indices montrent que les premiers règnes de femmes datent du IIIe siècle avant notre ère. Cependant, les preuves irréfutables n’en attestent qu’en l’an 25 avant J.-C. et jusqu’à la moitié du premier siècle après J.-C.

Le mot « candace » est couramment traduit par « reine-mère », mais cette interprétation est imprécise et réductrice. Selon Claude Rilly, l’étymologie de ce terme reste une énigme. « En réalité, on ne sait toujours pas d’où il vient », explique-t-il.
En revanche, ce qui est certain, c’est que les Candaces n’étaient pas de simples génitrices de rois ou épouses royales. Contrairement aux femmes dirigeantes d’Égypte, les Candaces de Méroé étaient perçues comme des souveraines légitimes à part entière. En Égypte, les pharaonnes étaient des reines régentes, qui usurpait le pouvoir de leur co-dirigeant, souvent leur fils, ou dans le cas de Cléopâtre, de son frère. Mais chez les Koushites, le pouvoir féminin était totalement accepté.
Bien que la société méroïtique fût patriarcale, avec des hommes occupant les fonctions administratives et religieuses, les femmes jouissaient d’une position éminente, en raison de la structure matrilinéaire de leur société. Le statut et l’héritage d’un individu dépendaient du rang de sa mère. « Au sommet de la hiérarchie royale, il y avait la reine », explique le chercheur.
Certains forums disent que cette matrilinéarité est issue des traditions africaines, selon lesquelles, à l’image des dieux, les femmes pouvaient créer la vie. Mais pour Claude Rilly, l’explication est plus pragmatique : « La filiation entre une mère et son enfant est incontestable, alors que la paternité peut toujours être remise en question. »
Ce mode d’héritage n’était pas propre à la seule civilisation koushite. « S’il n’y avait pas de reines régnantes pendant les siècles du Soudan chrétien (du VIe au XVe siècle), les rois se succédaient selon une descendance matrilinéaire. » Le chercheur établit un parallèle avec d’autres civilisations : « On peut comparer cela à l’époque victorienne en Angleterre : une société très patriarcale, mais avec une reine au sommet de la hiérarchie. »

Une écrasante victoire contre Rome ?

(vers 50 apr. J.-C.).
À son apogée, le royaume de Koush a résisté à l’invasion romaine, donnant naissance à de nombreux mythes. L’une des reines les plus célèbres de l’empire koushite est Amanirenas. Elle dirigeait le royaume pendant la guerre contre Rome, entre 25 et 21 av. J.-C., et est devenue une figure légendaire. L’historien et géographe grec Strabon, témoin du conflit, en a dressé un portrait redoutable. Il l’appelle simplement « Candace » et la décrit comme une femme « énorme », borgne, au « physique masculin », combattant avec férocité.
Peu de descriptions des reines de Koush sont parvenues jusqu’à nous, rendant le témoignage de Strabon particulièrement marquant. Certaines sources suggèrent qu’Amanirenas aurait perdu son œil au combat et qu’elle aurait personnellement mené l’armée méroïtique contre les soldats de l’empereur Auguste. Mais l’ambiguïté demeure.
Claude Rilly invite toutefois à lire avec prudence les écrits du géographe grec :
« Pour les Romains, le pouvoir féminin ne pouvait être qu’une catastrophe. Ils pensaient qu’il n’existait que deux types de reines : les monstres, comme la Candace borgne, et les ensorceleuses, comme Cléopâtre, qui a réussi à séduire deux généraux romains à la suite. »
Quant à l’issue de la guerre, elle reste incertaine. Les textes romains rapportent la supériorité de leur armée. Seules deux stèles, découvertes en 1910 et aujourd’hui conservées au British Museum, décrivent le conflit du point de vue méroïtique et elles sont difficilement déchiffrables. « Les textes romains et méroïtiques racontent deux versions différentes de la guerre. On peut en déduire qu’elle s’est terminée sur un statu quo », précise le linguiste.
À la fin des combats, un traité de paix fut signé. Chose étonnante : les Méroïtes furent épargné
es. Ils et elles ne durent pas verser de tribut, contrairement à l’usage de l’époque, et récupérèrent même des terres précédemment perdues. Après ce conflit, l’Empire romain ne tenta plus jamais d’envahir le Koush.